Beaufort-sur-Gervanne

Retour dans la vallée de la Drôme

Nous avons séjourné à Beaufort-sur-Gervanne du 1er au 17 novembre 2018 — c’est notre neuvième mois d’itinérance.

En juin dernier, la Drôme nous a beaucoup plu. On avait passé deux semaines à Crest ; à l’époque en pleine réflexion sur le ralentissement de notre itinérance. Deux semaines, c’était le luxe du temps long, la tranquilité de vivre sans s’empresser.

On a décidé de revenir 1 mois et demi dans la Drôme, à Beaufort-sur-Gervanne puis à nouveau à Crest dans l’optique de vivre un quotidien là bas, et de confirmer ou infirmer une intuition quant à une future installation dans la vallée de la Drôme.

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Première soirée dans la vallée de la Gervanne

On utilise pour la première fois la mine d’or qu’est Nomador, un site d’échange de services (tu gardes mon chat pendant que je pars en vacances). C’est le sourire de Barbara qui nous accueille à la gare de Crest.

Elle est venue nous chercher. Elle habite 15 kilomètres plus haut, à Beaufort-sur-Gervanne. On dîne avec elle et son vieux chat, Nabu. On prépare ensemble un gratin de ravioles aux légumes (une spécialité culinaire phare du Dauphiné, la région avoisinante). Sa maison donne sur une petite vallée : les arbres prennent leur couleur d’automne, et en face, la chocolaterie nous nargue.

Barbara nous raconte sa vie de costumière, en partie itinérante comme nous. Elle suit des troupes et des spectacles deux semaines par mois. Pour nous, c’est le bonheur - on pose nos quartiers dans une maison chaleureuse, avec une grande cuisine bien équipée, un poêle à bois pour nous réchauffer. J’aime la chaleur que diffuse le poêle. Ça nous apprend à gérer les ressources qu’on consomme, à prévoir le bois. La chaleur n’est ni acquise ni impensée : elle entre dans nos rituels quotidiens.

Un tour au bar du coin pour boire un verre, et on tombe de sommeil. Barbara part le lendemain.

Un quotidien à la campagne : contraste et adaptation

Les premiers jours, nos esprits et nos corps doivent s’habituer à cet environnement nouveau. Le village de Beaufort abrite 400 personnes à l’année. Il y a un bar-hôtel-restaurant, une coopérative boulangère (Les Pains de Beaufort), un bureau de Poste, une épicerie associative et un autre restaurant (qui ferme pour l’hiver).

J’ai un vertige de changement d’échelle qui s’installe, mêlé d’une peur souterraine qui refuse de se nommer. Je n’ai pas le permis, et de toute façon, nous n’avons pas de voiture. Aucun bus à l’horizon. Il va falloir faire avec.

On commence à faire du stop pour se rendre au marché. Ça marche bien, souvent même du premier coup ! Des gens de tous âges et profils s’arrêtent. L’occasion de faire des rencontres (brèves, mais tout de même) avec des personnes qu’on n’aurait pas forcément croisé ailleurs.

À chaque trajet, les conversations tournent autour de qui nous sommes, pourquoi on est là, pourquoi on s’intéresse à la Drôme et nous de leur retourner ces questions, pour savoir ce qui les attache à cet endroit.

Vue de rando fin de journee

Anecdotes d’auto-stop

Voici justement un petit florilège de ce qui a ponctué nos trajets en stop :

  • la personne qui nous demande si on aime la chasse, et nous dit de toute façon l’endroit idéal n’existe pas ;
  • les personnes de la chorale du 11 novembre ; c’est chouette de voir des enfants courir dans la rue, c’est vivant. Le comble du chic Drômois c’est de vivre avec une vue sur les Trois Becs ;
  • la personne qui voulait vivre en Ardèche, qui avait tout quadrillé avec ses ânes ; il adore la région mais comme il a la sensation d’avoir tout vu, il a envie d’aller ailleurs (mais dans un endroit “aussi naturel”) ;
  • la personne qui bosse à l’usine de Beaufort ; il nous raconte la transition de propriétaire à l’usine, que c’est devenu plus dur pour certain·es mais que lui ça va, parce qu’il n’est pas dans “la chaîne” ;
  • la personne qui fumait beaucoup, anciennement en production dans le cinéma, maintenant éduc’ spé, qui adore habiter à Beaufort pour le calme, la nature et le changement de rythme de vie ;
  • la personne qui parlait de l’arrivée massive de nouvelles personnes dans la Drôme depuis 10 ans ; à raccrocher avec une autre personne qui nous disait qu’elle voyait d’un bon œil l’arrivée des néo-ruraux, ils s’installent pour faire des fromages ou des produits de qualité ;
  • la personne rencontrée la veille au café avec son van en direction de Barcelone, souriant, il nous a reconnu, il file volontiers un coup de main ;
  • la personne qui nous a raconté son arrivée ici et l’épanouissement de ses enfants dans la nature ;
  • la personne qui bossait au centre de jeûne de Plain-de-Baix ; la durée de trajet idéale, y’a tout ce qu’il lui faut, il nous raconte que les chefs de grandes entreprises viennent là pour arrêter l’alcool et la coke pendant une semaine.

Entree du Vercors

Le dénominateur commun ? Les Drômois•es s’accordent pour dire qu’il se passe quelque chose de particulier ici. C’est vivant. De nouvelles personnes viennent constamment s’installer, le solde démographique est positif. Des projets fleurissent un peu partout dans la vallée. L’épicerie de Beaufort en est un signe, l’Usine Vivante en est un autre. L’été il y a même un bar à vins naturels éphémère à quelques kilomètres de là…

La biovallée

Information non-négligeable, la Drôme est la première région bio de France : 20% des terrains le sont contre 5% en moyenne ailleurs en France. Au marché, ça se voit. C’est ce qui nous a séduit la première fois. Les étals sont beaux. On croise les producteurs passionnés, on peut discuter avec eux. Et tout a un goût merveilleux. Jusqu’à la moindre carotte. Imaginez un peu.

On l’a compris pendant ce voyage, c’est quelque chose qui nous tient à cœur. On veut mettre de bonnes choses dans nos corps, respecter la terre, mieux rémunérer les producteurs, respecter les animaux, manger le moins d’antibiotiques et de pesticides possible. Ça paraît d’un bon sens implacable, et comme vous le savez peut-être, c’est plus compliqué qu’il n’y paraît. C’est un processus qui coûte plus, en temps, en vigilance et en argent. En venant ici, on se sent proche de ce qui nous parle : des productions respectueuses. On rencontre des boulangers qui font eux-même leur production de céréales anciennes, font eux-même leur mouture, font eux-même leur pain au levain naturel. Des vrais passionnés. Je ne pensais jamais être autant transportée par du pain, du pain vivant — sur ce sujet, À la recherche du pain vivant de Roland Feuillas et Jean-Philippe de Tonnac est un excellent bouquin.

L’Usine est-elle assez vivante pour grandir ?

Si on remonte à la racine de notre recherche, elle se situe autour d’un nouveau lieu de vie et de projets auxquels participer. Crest et l’Usine Vivante avaient piqué notre curiosité l’été dernier.

Deux jours après notre arrivée à Beaufort, coïncidence : on reçoit une invitation à une grande assemblée. L’Usine, locataire jusqu’ici du bâtiment central de cette ancienne usine automobile, a reçu une offre de vente, pour s’étendre sur un bâtiment supplémentaire et s’ouvrir au public.

L’Usine a-t-elle les forces vives pour mener ce projet à bien ?

Assemblée Usine vivante

Dans l’idée initiale qui a porté ce projet, le lieu devait avoir ces deux pôles : un endroit où un collectif de gens se retrouve pour travailler, déjeuner, faire vivre le jardin, etc - ainsi qu’un café ouvert sur la ville, plus ouvert vers l’extérieur.

L’Usine Vivante a trois ans et vit grâce à des forces bénévoles. Elle a besoin de nouveaux bras, de nouveaux cerveaux et d’envies fraîches pour reprendre son élan et entamer ce nouveau chapitre.

On trouve des points communs avec une de nos toutes premières étapes de voyage : l’intercoop des supermarchés coopératifs et son souci de l’essouflement / l’épuisement progressif de bénévoles surinvestis.

Au fur et à mesure des discussions, on glâne des informations. On saisit toute la complexité du projet. Derrière un lieu unique se cachent plusieurs dynamiques : celle des résident·es, celle des bénévoles, celle des salarié·es. Les intérêts, les envies et le temps libre varient. Acheter ou ne pas acheter l’aile, à quel prix ? Les réponses divergent.

Pour compléter la grande assemblée, on se rend à la commission ‘Finance et juridique’ pour mieux saisir les tenants et aboutissants du projet, notamment son impact financier. On mesure toute la force qu’il a fallu pour que ce projet naisse, pour qu’il tienne, et ce qu’il faudrait pour qu’il s’épanouisse davantage.

Ça nous donne envie d’apporter notre soutien, de bien réfléchir à ce qu’on pourrait apporter et sous quelle forme. Ce n’est pas évident : on n’est pas encore installés, on n’a même pas encore détricoté si oui on non on aimerait vivre ici. On ne peut donc proposer qu’une aide ponctuelle, tout en essayant de faire avancer les choses.

Tout ça nous donne matière à réfléchir. Il nous faudra un peu de temps pour digérer cette nouvelle : si l’Usine s’épuise, est-ce que notre intérêt pour Crest reste intact ? Il faut envisager tous les scénarios, ce qui nous semblait acquis se révèle être un effort collectif constant.

Tom concentré

Marcher dans la nature

Après avoir été à Crest quasiment tous les jours de la semaine, Thomas exprime une fatigue et son envie de profiter de Beaufort avant qu’on s’en aille. Il doit faire beau dans les jours qui viennent, et grâce à la voiture de Severine et Ludo, on va pouvoir s’échapper faire des randonnées dans le Vercors. Ces temps de marche nous émerveillent, nous donne envie de sauter toutes les étapes du doute qui plâne et nous colle malgré nous et crier “oui d’accord, on s’installe ici !”.

On sillonne les vallées, on grimpe, on voit la végétation changer en fonction de l’altitude, de l’exposition au soleil. Ça sent la nature qui va bien. Les forêts ne sont pas homogènes comme dans les endroits destinés à la culture du bois. Ici, c’est clair - ce n’est pas l’homme qui s’impose.

On s’aventure d’abord à pied de la maison jusqu’à Gigors. Puis à la Croix du Vellan. Puis carrément jusqu’à Font d’Urle, au cœur du massif du Vercors. On grimpe suffisamment haut pour que les rapaces nous cotoient. On a vue sur toute la vallée, les Trois Becs toujours en repère. Jamais été aussi contents d’être flexibles dans notre cadre de travail.

La nuit tombe vite, ces jours-ci. On passe les soirées à câliner Nabu, qui nous fait bien comprendre que c’est “his way or the high way” : il a un penchant pour les aisselles des gens, s’étaler de tout son long sur la poitrine de son réceptacle… On recharge nos batteries de ronrons. Preuve à l’appui :

On repart avec quoi ?

  • L’appréciation d’un rythme plus lent, dans un contexte plus proche du quotidien que celui des vacances (temps exceptionnel pas forcément soutenable à moyen terme).
  • Le vécu d’une ‘vraie’ maison : le confort, la cuisine pièce à vivre…
  • La confirmation d’une intuition : la proximité avec la Nature nous réussit, celle de pouvoir cuisiner avec des produits de qualité.
  • Un cadre plus sauvage, une facilité qui incite à aller marcher aux quatre vents. Les chemins de randonnée, qu’ils partent au pied de la maison ou au-delà de cols dans le Vercors, nous coupent le souffle !
  • Le mois qui vient, on va être à Crest même. 8000 habitants vs 400. On va pouvoir “comparer” nos vécus de la Vallée, à 15 kilomètres d’écart ; les impacts sur notre vie et sur nos envies d’implantation.

Noémie ajoute :

  • Les barrières pour se déplacer librement, sans permis, sans voiture et avec peu de transports en commun a généré une angoisse latente.
  • J’ai envie et/ou besoin de pouvoir sortir quand ça me chante pour aller boire un café, acheter quelques bricoles, aller travailler ailleurs que chez nous.
  • Faire l’expérience de cadres de vie de petite échelle comme celui-ci me fait voir Crest d’une manière différente, je la considère plus comme une ville parmi des villages.
  • Ce qui fait la différence ici pour moi, c’est l’épicerie (épicentre du village) qui a de bons produits et qui est autant un lieu de rencontres que d’approvisionnement en dehors des grandes surfaces. Mention spéciale à la sélection de vins naturels !
  • Ici, il me manque le plaisir de croiser des têtes connues dans la rue, le rituel du marché… Je sens que le changement d’échelle serait trop radical pour moi, en tous cas dans un premier temps.

Thomas complète :

  • Je me serais bien vu vivre ici, dans un cadre aussi chaleureux ; à la croisée de beaux sentiers de randonnée, proche des villes et déjà suffisamment éloigné ;
  • Il manquerait presque un café associatif de l’autre côté de la rue, en face de l’épicerie, c’est là que je voyais les personnes s’arrêter pour discuter ;
  • Il manquait une épicerie associative à d’autres villages de taille similaire ; quand on les traversait et que je me demandais “est-ce qu’on se sentirait d’habiter ici ?”, s’il n’y avait pas un lieu de ce genre, c’était un “non” systématique — ça se ressent dans leur dynamique de vie.

Promis on vous raconte bientôt le récit de notre second mois à Crest. Celui où on a décidé que… non je ne spoile pas 😁.

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