Rencontre intercoopérative à Montpellier

L'essor des supermarchés et épiceries coopératifs.

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Les supermarchés coopératifs, comment et pourquoi ?

La première fois que j’ai entendu parler de supermarchés coopératifs, c’était pendant l’ouverture de La Louve, en 2016 à Paris. Ils ont suivi le modèle d’une des premières instances de ce genre d’initiative, le Park Slope Food Coop de New York. Le site de La Louve décrit bien l’ambition :

Nous n’étions pas satisfaits de l’offre alimentaire qui nous était proposée, alors nous avons décidé de créer notre propre supermarché.

Tout le monde peut y faire ses courses, il suffit de devenir coopérateur et participer au fonctionnement du magasin.

Le modèle de la coopérative, c’est ça. Un projet participatif où chaque membre a une voix, peut prendre part aux décisions qui concernent l’évolution du projet.
Pour appartenir à la coopérative, il faut donner de son temps. Souvent environ 3 heures par mois. On vient travailler dans les rayons du magasin, à la caisse, aider à l’administration… En contrepartie, on fait partie d’un collectif et dans ce cas précis (les coopératives prennent plein de formes), on peut faire ses courses hors des monopoles de supermarchés, s’alimenter avec des produits de circuit court, de production bio et raisonnable, soutenir les producteurs…

Vous habitez à Paris - Strasbourg - Nancy - Lille - Grenoble - Bordeaux - Lyon - Orléans - Dijon - Rennes Marseille - Saint Etienne - Toulon - Toulouse - Sète - Brest - St Germain en Laye - Versailles - Créteil - Genève… ?
Un supermarché ou une épicerie coopérative existe près de chez vous, chanceux.
Pourquoi pas vous rapprocher d’eux si ce genre de chose vous parle.

La Cagette

Après avoir fait partie de l’ouverture de La Louve, un des membres, grâce à cette expérience et ce savoir acquis, se sent prêt à monter un projet à Montpellier.

Ils et elles se forment d’abord en association, puis en ce qu’on appelle un groupement d’achat, une épicerie, et enfin un supermarché. Ils ont déjà plus de mille membres. Et notre contact chez eux, c’est Élie.

On l’avait recontacté pour lui partager notre enthousiasme sur ces nouvelles formes de rapport à l’alimentation. A Londres, on avait la chance d’habiter près d’un marché de producteurs (Growing Communities) grâce auquel on s’approvisionnait en fruits et légumes de saison. On privilégiait au maximum l’achat hors des supermarchés géants qui ont une politique d’emballage complètement déraisonnée et des étals de produits frais bien tristes.

Grâce à notre mairie de quartier, on a obtenu des poubelles de compost, et nos colocs nous ont regardé entasser nos déchets organiques là-dedans avec des yeux ronds comme des billes. (Plutôt adeptes de bouffe rapide.) Ça a eu l’effet positif de pouvoir quantifier à la louche que plus de la moitié de nos déchets étaient végétaux.

L’émergence de supermarchés coopératifs et la culture des produits frais et artisanaux en France sont deux grandes motivations du retour. J’ai la sensation qu’ici, les gens sont plus attachés à la nourriture, plus conscients du besoin de transition. La permaculture se développe, l’agriculture urbaine aussi, et maintenant la diffusion… Les premières briques sont posées pour faire évoluer le circuit de la bouffe.

Rencontre inter-coopérative

Les coopératives ont le sens fort du partage de savoir et des commmuns. Depuis quelques années, les supermarchés coopératifs organisent des rencontres pour échanger sur des pratiques, des valeurs, des astuces… Et passer du temps ensemble. Cette année, l’évènement est hébergé par la Cagette à Montpellier.

Il est organisé en forum ouvert - le programme est élaboré par les participants. On arrive au moment du café de bienvenue, à la recherche d’écocups pour notre dose de caféine matinale. On tombe sur une série de personnes rayonnantes et chaleureuses, dont quelqu’un qui aménageait l’espace du déjeuner - lui aussi nomade, là pour offrir une cantine collaborative à ses copains de la Cagette. Tout le reste du weekend se déroule dans une ambiance de générosité et de richesse partagée dont il est difficile de se détacher.

A l’ouverture du forum, tout le monde présente les sujets dont il/elle aimerait aborder, on passe du plus théorique au plus prosaïque et terre à terre, et c’est bien l’endroit pour le faire.

Ça fuse dans tous les sens :
Système de paiement - décisions démocratiques - salariat - relations fournisseurs et partenaires - gouvernance - communication et valeurs - financements - éthique et accessibilité - réduction des déchets - mutualisation d’outils ou de développement - mobilisation et surcharge - mixité sociale - ouverture aux non-membres…

Retour d’expérience d’ateliers

Atelier inclusion et mixité sociale

Éthique et ouverture.
Cet atelier est parti d’une volonté de discuter de l’ouverture de ces mouvements coopératifs sur un sujet aussi fédérateur que la nourriture. Quelle place et quelle réflexion est accordée aux femmes, aux personnes racisées, aux personnes bénéfiant de minima sociaux, ou généralement plus éloignées de ces démarches ?

On a parlé de l’implantation : le lieu et le quartier qu’on choisit pour son supermarché ont une importance primordiale. On ne vous l’apprend pas, chaque quartier a des populations et des connotations. Comment se connecter au mieux avec des populations locales ?

On a parlé de prix (d’adhésion, de produits, de marge). Il y a énormément de cristallisation là-dessus et c’est un débat intéressant. Le bio a la réputation d’être inabordable (même si ce n’est pas systématiquement le cas). Alors, faut-il faire entrer des produits non-bio pour avoir une proposition inclusive, ou est-ce que ça renverse tout le propos ? Question non résolue, beaucoup de positionnements variés là-dessus. :)

On a parlé de connexion avec le tissu local : que ce soient des associations, des restaurants, des cantines solidaires, des fêtes de quartier… Il faut s’ouvrir en sortant les projets de leurs magasins pour toucher des communautés variées. Informer, discuter, proposer, tout en essayant de comprendre quelles seraient les barrières d’entrée, pour pouvoir ensuite tirer ses propres conclusions et enclencher des actions correspondantes. Par exemple, on a parlé de passer par le biais d’évènements populaires : ateliers de cuisine, cuisiner sans déchêts, etc…

Des dispositifs spécifiques pour favoriser l’inclusion existent, sous forme de manifestes, de codes de conduite, pour assurer des équipes diverses et des comportements respectueux de toutes et tous.

Atelier développement informatique agile

Mutualisation et open source.
Dans nos échanges avant l’évènement, Élie nous avait parlé de son souhait de profiter de ce moment pour reparler de chantiers informatiques et de mutualisation. Les supermarchés coopératifs utilisent beaucoup le système en open source Odoo pour leur gestion au quotidien (membres, stocks, ventes…). C’est une bonne base, mais c’est bien old school, et trop complexe pour leurs usages. Parfois, c’est même la complexité de l’outil qui les force à trouver des hacks et des contournements pour pallier à cet effet. Dur.

Pourtant, à des degrés de “maturité” de projet équivalent (les problématiques d’une association qui vient de se lancer diffèreront nettement de la gestion logistique d’un supermarché), les besoins sont souvent les mêmes. Il y aurait donc une fenêtre pour mettre des efforts en commun et améliorer certains pans de la solution.

Élie connaît bien les méthodes de travail agiles et nous propose de nous lancer, Thomas, Stéphane et moi, dans une structure pour lancer ce travail commun.
Première étape : quels sont les plus gros chantiers ? Les plus gros postes de perte de temps ?
Deuxième étape : quelle méthodologie commune pour avancer ?
Troisième étape: choisir un des chantiers et commencer à lister les évolutions en morcellant le travail.
Objectif : Ébauche d’une roadmap de développement

On recontextualise :

  • Pourquoi ce travail est intéressant maintenant (que des membres de plusieurs coops sont réunis en un endroit et disponibles pour échanger de vive voix, créer un momentum)
  • Lister les besoins et trouver les manières les plus simples de développer des solutions.
  • Utiliser le format de la “user story” pour se forcer à préciser nos idées et découper les grands chantiers en de plus petites actions réalisables (plutôt que regarder un chantier vertigineux, ne pas savoir par où commencer et se laisser décourager). Ça permet de ne pas se lancer aussitôt sur une solution technique (qui ne sera peut être pas adoptée) et la priorisation.
  • Favoriser le dialogue entre les équipes de développement et les utilisateurs/trices. Tester ses solutions proposées (en montrant des prototypes, des dessins) avant de développer. Comprendre les difficultés d’usage de personnes qui prennent en main les outils différemment.
  • Travailler sur une solution minimale / un “MVP” (minimum viable product). Puis bâtir sur cette base en itérations progressives.
  • Nécessité d’organisation pour des équipes distribuées, à distance. (Contextualiser et documenter ses choix peut aider d’autres équipes à mieux comprendre les chantiers en cours, peut leur éviter de faire des erreurs.)

S’ensuit plusieurs ateliers pratiques, dont un atelier de co-design de formulaire d’inscription modérée par Thomas. Une session de prototypage rapide, des crayons dans les mains de tout le monde puis une présentation de chacune des solutions permet de montrer que derrière des notions communes (inscription d’un membre) se cachent mille usages, pratiques et contraintes.

C’est un excellent exercice d’intelligence collective et de mesure de l’ampleur de la tâche. Ces chantiers nécessitent souvent un investissement conséquent en temps humain, en tous cas initialement, pour aboutir à un design de formulaire bon à développer. Travail à suivre. Nos avancées sont documentées dans un Google Drive commun.

C’est lors de discussions annexes, pendant l’apéro ou les pauses, qu’on discute de l’impact des valeurs dominantes d’un projet. Comme dans plein d’initiatives (les tiers-lieux sont un parfait exemple), le projet reflète l’équipe qui le soutient.

Que ce soient les manières de pratiquer l’inclusivité (qui peut avoir un impact sur le prix, les produits proposés, la manière de constituer des équipes et de s’ouvrir activement/faire des partenariats avec des initiatives annexes), le soutien aux (petits) producteurs indépendants, l’impact de l’échelle souhaitée du projet (quelle variation dans la communauté quand elles sont à 500, 1000, 2000 membres ?), comment faire vivre la communauté de coopérateurs et faire ressortir les talents présents dans ce groupe, créer du lien…

En aparté, Élie nous confie quelques pensées sur le paradoxe des intermédiaires, qu’on a tendance à fustiger (“dès qu’il y a un intermédiaire, le prix gonfle”), mais on minore leur utilité sur la fonction économique de mise en relation, de sourcing, de contrôle qualité, de transport et de stockage… Un tas de fonctions utiles dans leur contexte. Il y a aussi que la production de petites exploitations peut varier d’une semaine à l’autre, et le rôle d’un grossiste qui ferait des rassemblements de producteurs indépendants pourrait participer à “réguler” ces aléas.
Précision apportée dans nos échanges écrits depuis :

J’ai aussi envie d’insister sur les MIN (marché d’intérêt nationaux, le plus ancien étant Rungis). Il s’agit d’une invention française. Ce sont des marchés de gros, institution publiques où se rencontrent les producteurs et les fournisseurs. C’est le dernier rempart contre les 5 centrales de la grande distribution qui se partagent 95% du marché Français de l’alimentation …

Après l’Intercoop

Injustice alimentaire

Je trouve quelques saines lectures chez Élie et ses colocs. J’ai entendu parler plein de fois de ce bouquin de Frédéric Laloux, “Reinventing organisations”, sur le mouvement des entreprises libérées, mais je ne l’ai jamais lu.

Et comme on parlait de mixité sociale et d’inclusivité avec Élie, je me penche sur Cultivating food justice. Race, Class and Sustainability” d’Alison Hope Atkinson et Julian Agyeman. ET C’EST CAPTIVANT. Je vous le recommande à fond.

Saine lecture

Voilà quelques extraits :

“The concept of positionality, the understanding that our life experiences and practices are deeply entangled with the ways we see the world.”

“My early research arose from my personal and political interest in place, examining its relationship with meaning-making processes and power.”

“The food movement is responding to popular anxieties that modern life is alienating and antisocial, and an American mythology that locates the good life in romanticised small towns.”

“But such a consistent narrative, doing with the movement’s predominantly white and middle-class character, suggests that it may itself be something of a monoculture. It consists of a group of ‘like-minded’ people, with similar backgrounds, values and proclivities, who have come to similar conclusions about how our food system should change.”

“The dominant narrative [of the food movement] described earlier, compelling as it may be to some, might drown out other stories. In these additional stories, food is not only linked to ecological sustainability, community, health, but also to racial, economic and environmental justice. Our goal in highlighting these additional stories is not to chastise the food movement, but to build a stronger and deeper critique of industrialized agriculture.”

“This alliance will require that the food movement reach beyond its dominant narrative to understand the experiences and perspectives of its potential allies.”

“Essentialist notions of race and racism ignore the socially constructed and lived dynamics of racial identities and oppressions.”

“The food justice scholarship can also help the environmental justice literature to incorporate more theoretically sophisticated understandings of race.”

Un immense merci à Élie, Antonin, Romain, Catherine, Alicia, Julien, toutes les personnes présentes à l’Intercoop - pour l’accueil, pour les discussions, pour le partage et les apéros assez dingues quand même.

Poursuivre la lecture sur ces sujets :

Peyrou
Oui, c’était pas mal.

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