Marseille

Semences paysannes, architecture temporaire, recentrer ses besoins.

J’écris cet article fin juin à Burret dans l’Ariège, où on rend visite à Paola, une très bonne amie. On rayonne entre Foix, Mirepoix et Burret en stop. Ici, pas de véhicule, tout pousse dans le jardin, c’est la débrouillardise et ça invite à regarder un peu où on avait posé les contours de nos préjugés et de nos petits conforts.
On a séjourné à Marseille du 8 au 16 avril.

Podcasts écoutés 🎙 :

Notre Dame du Mont et le chez-soi élastique

Vue de la terrasse de l'appartement
Vue depuis la terrasse.
Ma cousine Maïlys avait annoncé qu’elle partait en vacances et laissait son appartement à qui voudrait venir visiter Marseille. Grâce à elle (et Nico et Leïla, merci !) on profite d’une semaine calme dans cette ville polarisante.

Lorsqu’on arrive en train, il fait nuit, on se dit qu’on prend le chemin le plus court pour arriver à destination… Erreur. On remonte le Cours Lieutaud qui n’est autre qu’une autoroute dans la ville. Première rencontre avec cet afflux incessant de voitures qui habite le centre-ville marseillais. Il y en a partout. Sur les trottoirs, je contourne, je me faufile, je rentre le ventre pour passer entre mur et portière. La priorité aux piétons est une vaste blague. Si on tient un peu à son intégrité physique, il vaut mieux regarder où on va.

À notre arrivée, le temps n’est pas au rendez-vous mais cette vue dégagée, avec les grandes roches blanches qui encadrent la ville et contrastent avec les ciels sombres et orageux, ça a son charme.

Premières leçons d’itinérance

Ici, c’est notre première étape seuls avec un appartement juste pour nous depuis un peu plus d’un mois. C’est aussi une des premières fois où on reste pendant plus d’une semaine. Ça nous change d’un rythme d’itinérance jusqu’ici très élevé et plutôt collectif.
On commence à remarquer la fatigue accumulée de voyager tous les quelques jours, l’énergie mise dans le rituel “faire-défaire son sac” (même si on voyage léger !), le temps que prend chaque voyage vers une nouvelle destination. Sans en avoir vraiment pris conscience, la plupart de nos premières étapes duraient une semaine ou moins (parfois juste 3 ou 4 jours). Ce qui n’est pas suffisant pour nous permettre de profiter de l’endroit et des personnes présentes, continuer nos projets en parallèle, et nous reposer.
Ça fait partie des premières prises de marque entre nous :

  • accueillir et accepter le besoin de repos
  • adapter le rythme en fonction

On se dit que pour nos prochaines étapes, on essaiera de préserver une semaine et demie sur place minimum. On essaie de se dire qu’on ne se laissera pas “avoir par notre enthousiasme”, et que même si on a envie de voir mille trucs, il faut aussi qu’on prête attention à nos niveaux d’énergie et de fatigue.

Retrouver le confort d’un endroit à soi, c’est aussi : pouvoir faire du pain, trouver des bulles de concentration. Dîner sur le balcon.

Retrouvailles

Un des premiers soirs de notre séjour, on va dîner avec Émilie, une amie de longue date. Elle s’est installée ici avec son copain Charlie. Elle nous emmène dîner chez Sauveur, institution marseillaise paraît-il. Autour de pizzas de mega haut niveau, on papote… Émilie est urbaniste et nous raconte son expérience dans ce cadre institutionnel, les limites qu’elle rencontre, ce qui la motive, les échos qu’elle trouve dans notre démarche…

Vers la fin du repas, elle nous demande :
Si tu pouvais faire ton métier idéal, n’importe quoi, sans contrainte financière, tu ferais quoi ?
Je réfléchis un peu… Je me dis surtout que J’ADORE cette question. Je ne rêve que d’un moment où je n’aurai plus la contrainte du travail rémunéré.
Je réponds que j’aurais probablement essayé de devenir designer “maille”. J’ai repris le tricot récemment et je me rappelle ces moments d’errance sur les pages des cursus de design textile d’universités américaines… Ça me plait bien de me dire que dans une autre vie, j’aurais pu faire ça.

Thomas répond hors des cases (pas de surprise là-dessus 🙈) - il dit qu’il ferait certainement un tas de choses différentes. Du pain, du code… Un mélange d’activités. Ça me fait sourire, ça ne m’étonne pas de lui, et je me dis que ça ressemble quand même fortement à la vie qu’il a actuellement. Quelle chance.

Émilie serait devenue chocolatière. Depuis toute petite, elle aime la créativité de ce métier. Elle aurait voulu aller plus loin dans sa connaissance de la matière.

Plus j’y repense et plus j’aime cette question. Ça permet d’en savoir plus sur les gens. Au-delà des sempiternels “Tu viens d’où ? Et tu fais quoi ?” (D’ailleurs les gens refusent qu’on leur dise qu’on est itinérants en ce moment. Ils veulent savoir “oui, mais d’où à la base ?” C’est un repère plus important que je ne pensais…)

Les hasards de l’errance

On frappe un peu au hasard à la porte d’une brasserie pas loin de chez nous. Quelqu’un sort de la pénombre et nous ouvre. On discute des associations de brasseries montpelliéraines (la BAF), des matières premières, du fait qu’on n’a pas de bol sur le temps (“les seuls jours de l’année où il pleut à Marseille !”). On repart avec un carton de leur blonde houblonnée à cru, récompensée au Brussels Beer Challenge 2017.

Les brasseurs de bière, c’est comme les gens qui s’occupent des nouveaux circuits de bouffe : ça fleurit partout, ils/elles ont le goût des bons produits, reprennent en main des productions locales… Ça a l’air d’être un milieu vraiment dynamique et bon vivant auquel j’aimerais m’intéresser de plus près une fois posée. (Je n’ai pas encore essayé de brasser ma propre bière, mais j’ai des amis qui ont du super nivax là-dessus.)

Un petit tour sur le site de la Brasserie du Vieux Singe confirme mes intuitions, voilà un extrait de leur manifeste :

COOPÉRATION & PARTAGE

Nous ne sommes pas seuls et pensons que la coopération et le partage sont plus forts que la compétition et le culte du secret. Nous souhaitons nous allier à nos collègues brasseurs indépendants pour mettre à mal l’industrialisation de la bière !
En pratique ?

  • Nos recettes sont publiées en ligne, pour être facilement reproduites par qui le souhaite. Nous en parlons d’ailleurs avec plaisir !
  • Nous publions aussi souvent que possible les résultats de nos expérimentations.
  • Les plans de nos projets sont mis à disposition pour un partage, une diffusion et une réutilisation, selon le principe des logiciels libres.
  • Nous sommes investis dans des projets collectifs qui ont pour but le développement de la brasserie artisanale et de sa filière.
  • Nous continuons notre parcours de brasseurs amateurs, au vu de la richesse des discussions avec cette communauté.
  • Nous sommes adhérents au Syndicat National des Brasseurs Indépendants.

Un peu la classe. 💪

Friche la Belle de Mai et LFO fablab

À la friche, on trouve le plaisir de l’espace, de la déambulation libre. On trouve un marché où acheter des légumes frais (et du fromage du coin).

C’est drôle de tomber sur une expo de Gérard Paris Clavel qui a pour thème le travail. Non mais ça nous poursuit ou quoi ?! (Oui.)

Le travail, au centre de nos vies bien souvent (à bien distinguer de l’emploi) est un moteur humain et social, de lien et d’épanouissement, de rencontre comme parfois d’oppression. Il est également au centre de la démarche de Gérard Paris Clavel, graphiste social, membre fondateur de Grapus et Ne Pas Plier.

Expo métier - Gérard Paris-Clavel

Claire nous avait parlé du Zinc, un endroit qui croise aussi arts et cultures du numérique. Ils sont associés au LFO, le fablab installé dans la friche. On finit par passer l’après-midi à parler des joies et des contraintes d’un fablab, de la bidouille, des ambitions de tisser un réseau local, d’abaisser la culture des silos, de la reconnaissance de compétences, de la MedNum (à nouveau)… Et du modèle économique de ce genre d’endroit.

LFO

Je retrouve plein d’échos aux années que j’avais passées à la Gaîté lyrique : ils ont collaboré avec Brut Pop pour faire des BrutBox (un contrôleur midi modulaire conçu pour des ateliers de création sonore et musicale avec des publics en situation de handicap (sensoriel, psychique ou moteur), et du jeune public)

Et pour finir, une petite bière en terrasse :

Je fais cette tête parce que les toilettes des femmes sont fermées et dans celles des hommes, j’ai vu des trucs que je ne pourrai plus jamais effacer de ma mémoire.

Semences libres et zone à défendre

On va aux Variétés (cinéma indé du coin) voir un film sur la ZAD au moment où les interventions policières deviennent complètement démesurées. Le film en lui-même n’était pas terrible, mais je vous recommande vraiment de voir “Demain s’entête”. C’est un film qui suit les mouvements au sein de la ZAD, montre la polyphonie des gens qui la font vivre, assume la pluralité, dépeint ce qu’on cherche à y (dé)construire.

A Longo Maï aussi on essaie d’inventer autre chose. J’ai découvert ces lieux de vie à travers un podcast (encore un).

Coopérative agricole autogérée qui connaît un immense afflux et essaime en France et en Europe : maraîchage, apiculture, élevage de moutons ou bûcheronnage accompagnent désormais les actions politiques et les campagnes de soutien que le collectif continue de mener. Ni règles écrites, ni salariat, ni propriété privée. Une radio libre, à laquelle participent largement des habitants de la région. Depuis quatre décennies, l’accueil de réfugiés.

À cette soirée je découvre le mouvement des semences libres et paysannes. J’avais entendu parler de Kokopelli mais je ne savais pas qu’il était actuellement interdit de vendre des semences qui ne sont pas sur les catalogues officiels (histoire de conserver monopole et dépendance). Longo Maï fait partie des gens qui collaborent avec Kokopelli pour échanger et partager des graines de leur propre production. Heureusement, l’Union européenne a depuis pris des dispositions pour déverrouiller le marché des semences.

Ce qui m’a touchée dans cette soirée, c’est que la personne venue de Longo Maï partager quelques-unes de ses expériences sur la façon d’auto-gérer sa production est une femme, et qu’elle insiste beaucoup sur le fait que ce genre d’activité nous renforce lorsqu’on s’aperçoit qu’on peut faire plein de choses. Elle fait référence à l’empowerment, la puissance d’agir. Elle me regarde droit dans les yeux quand elle parle de ça.

Le Pas de la Demi-Lune : presque mourir dans les calanques

Quand le beau temps arrive, c’est parfait, on est mûrs pour une balade dans les calanques. On est dimanche, on saute dans deux bus consécutifs.

On sent bien qu’aujourd’hui, tout le monde va avoir la même idée que nous. Pour éviter la foule, on décide de prendre un chemin alternatif. Après tout, on a notre picnic, nos chaussures de rando, on est tout équipés.

Au départ, le panneau indiquant les chemins a subi les effets du temps et de la pluie, quelques informations sont effacées, quelques chemins ne sont plus accessibles.

Tellement blanche qu'on m'aperçoit à peine

Le Pas de la Demi-Lune paraît idéal : on prend un peu de hauteur et on pourra s’arrêter à l’ombre pour déjeuner.

MALHEUR. SI J’AVAIS SU.

C’est un endroit vertigineux (non mais regardez-moi ça). À peine de quoi poser son pied, il faut se plaquer contre la paroi pour “marcher en crabe” et oser espérer pouvoir s’en sortir vivant.
J’ai les jambes qui flageolent et je pense que je suis encore plus blanche que tout à l’heure, si c’était possible. J’ai rarement eu aussi peur de ma vie. Pourtant je vois des Marseillais passer à toute allure en disant ‘qu’ils avaient un petit coup dans le nez mais qu’ils avaient encore beaucoup de chemin’…
Failli tourner de l’œil.

J’ai rarement été aussi heureuse d’être en vie et en un seul morceau qu’après ce moment. Épique.


Hyperville - faire lieu

La valeur d'une ville

Par hasard, sur Twitter, je tombe sur ce collectif d’urbanistes implanté à Paris et à Marseille. Je creuse un peu… Et je découvre qu’un de leurs fanzines concerne le quartier de la Belle de Mai.

J’arrive à trouver le dernier exemplaire à la Friche la Belle de Mai. Et en fait, croiser ces questions de lieux, de quartiers, de vie et d’espace public me marque, ça va m’accompagner pas mal de temps.

Voilà quelques citations :

Un réel processus de métropolisation que nous sommes seuls à même de construire pour qu’il nous ressemble. Cette ‘globalisation par le bas’ n’a rien de péjoratif, elle est notre seul avenir possible.

À qui confie-t-on la responsabilité des espaces de vie ? À travers le collectif Genre et Ville j’avais déjà un peu abordé la question de femmes et de l’espace public… Mais cette entrée dans les intentions des tiers-lieux m’amène à m’interroger davantage sur les dynamiques collectives, “from the ground up”, indépendantes, qui questionnent la vie collective et la mixité.

Dans cet exemplaire, le collectif raconte son expérience vis-à-vis des femmes du quartier de la Belle de Mai. D’abord en organisant un cercle de parole, pour partager les vécus du quartier, les gênes et les endroits de convivialité… Comme souvent, certaines évitent des endroits comme des parcs abandonnés, des places uniquement fréquentées par des hommes, etc. Alors, l’idée leur vient de reprendre possession de l’espace en organisant ‘le Coin des Femmes’. Venir en groupe, organiser une activité et un moment de partage dans un endroit aux connotations d’interdit, ça participe à changer subtilement, le temps d’une journée, les rapports de pouvoir, les peurs, et de ré-écrire autre chose à la place.

Saprophytes met en œuvre sa ‘Fabrique d’architectures bricolées’ au sein de la Condition Publique, avec des missions courtes, diffuses dans le temps, mais régulières. Tous ont en commun, depuis une dizaine d’années, de s’intéresser davantage aux processus qu’aux formes, de se soucier surtout des méthodes et moins des finalités.

C’est une des premières fois que j’entends parler d’architecture temporaire, bricolée, où les moyens prennent le pas sur la fin. Ces architectures-là ont l’ambition de créer du lien et de favoriser des rencontres plutôt que l’obsession du “produit fini”. C’est une dynamique que je rencontre aussi ailleurs, dans des projets de recherche-action et d’innovation sociale, cette question du processus, de l’expérimentation, de l’improvisation.

Voici pêle-mêle quelques questions inspirantes qu’ils se posent à travers leurs pratiques respectives : comment appuyer un sentiment de communauté par des chantiers ouverts de bricolage en plein air ? Comment imaginer une autogestion collective d’un petit parc public ? Comment initier une rénovation des logements par l’auto-construction, dont la majorité est habitée par des propriétaires-occupants sans ressources ? Quels liens tisser entre un important équipement culturel comme la Condition Publique et ses voisins des quartiers populaires cloisonnés ?

Certains pensent, comme le souligne le rapport Bacqué-Mechmache, qu’il est crucial de construire avec les habitants des quartiers délaissés, plutôt que de seulement transformer leurs espaces. Daté de 2013, il propose une poignée d’actions concrètes autour de la participation, à savoir la nécessité d’offrir aux individus plus de ‘pouvoir d’agir’.

Je retrouve cette notion de pouvoir d’agir, “empowerment” par le faire, par la satisfaction d’apprendre à faire des choses de ses mains, de se sentir capable, de participer à un projet, d’apprendre des autres et de pouvoir transmettre à son tour… Ça peut paraître anodin mais je trouve qu’il y a beaucoup de ressource dans ce fait de décentraliser et dé-hiérarchiser les savoirs.
Une fois passée la première impression de “je n’ose pas !”, si l’environnement est accueillant, on se prend au jeu. Peut-être même qu’on fait des rencontres qui n’auraient pas eu lieu autrement.
Ça me plait bien cette idée.

Il n’y a pas d’espaces pauvres, il n’y a que des espaces pauvrement regardés.


Et pour finir

Parce qu’on a eu la chance de vivre dans un quartier vraiment agréable (avec plein de commerces de bouche, un super marché au Cours Julien, un emplacement central et proche d’une zone piétonne…), j’ai beaucoup aimé Marseille. Plus que je ne m’y attendais.

J’ai aimé que la ville se montre sans détour, qu’elle ne cache pas ses inégalités. Ville franche. Ça bouge de partout. On nous dit qu’en plusieurs années, Marseille s’est déjà beaucoup transformée, et que ça va continuer (elle bénéficie d’un des plus gros plans de rénovation urbaine, Euroméditerranée).

Je suis contente de partir en préservant un bon souvenir, sans m’éterniser, sans sentir l’usure de la présence de voitures partout-tout-le-temps. Je serais vraiment contente de trouver une occasion d’y retourner avec mes repères acquis.

Conseils de lecture 📚
Vous aimeriez lire quelque chose sur le chez-soi ?
Attrapez : Chez soi, une odyssée de l’espace domestique de Mona Chollet.

Pour en lire plus sur les urbanistes et architectes qui font des trucs vraiment intéressants, allez voir le catalogue de Lieux Infinis (toutes les personnes associées ont l’air chouette).

Les adresses à Marseille 🍽

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